Je me souviens encore de ma toute première visite sur la rue du train à Hanoi (également connue sous le nom de « train street » évidemment). Je ne vivais pas encore au Vietnam, j’étais simplement une touriste, entre deux voyages. J’avais entendu parler de ce train traversant une ruelle incroyablement étroite, coincée entre deux façades d’immeubles… Difficile de croire que quoi que ce soit puisse y passer, et pourtant, le train y fonçait bel et bien au ras des murs.

À l’époque (en 2017) il n’y avait vraiment pas grand-chose : pas de cafés branchés, pas de touristes alignés pour la photo parfaite, juste des habitants vivant leur quotidien. Quelques anciens discutaient assis devant leur porte, des enfants jouaient sur les rails, et le silence n’était interrompu que par le grondement du train. C’était une ruelle populaire, un peu sombre, ignorée du reste de la ville, mal famée même ! Et certainement pas l’attraction incontournable d’Instagram qu’elle est devenue ensuite…



Mais laissez-moi partager avec vous les quelques années de joie, d’animation, de rencontres et de bonheur que j’ai vécu sur cette rue après avoir rencontré l’incroyable Thao Quach, qui aujourd’hui, après de nombreuses péripéties, une pandémie, des cafés fermés puis rouverts, des déménagements et des voyages… continue de créer sur la rue du train de Hanoi.
Quand la rue du train devint un café

C’est fin 2017 que la destinée de la rue du train a commencé à se transformer, lorsqu’une jeune Vietnamienne, Thao, eut l’idée d’ouvrir le tout premier café de la rue : The Railway Hanoi. Dans une jolie maison à deux étages, étroite comme les maisons caractéristiques de la vieille ville hanoïenne, peinte en vert et bleu, entièrement refaite des mains de Thao, un projet communautaire, convivial, unique en son genre voyait le jour sur cette ruelle improbable, et à l’époque, ça semblait fou ! Qui voudrait boire un café avec un train passant littéralement sous / devant / sur ses pieds ? Mais c’est ce pari audacieux, né d’un rêve, qui a fait naître la légende !
J’ai rencontré Thao Quach à ce moment-là, alors qu’elle tenait son café encore seule (plus tard, sa soeur et de nombreux amis nous rejoindraient) et notre amitié s’est vite transformée en collaboration. Peu à peu, je suis devenue guide dans ce café hors du commun. J’y passais mes journées : à servir des boissons, à attendre le train avec les voyageurs, ou à emmener des groupes en food tours qui s’achevaient souvent là, dans cette ruelle vibrante, à saluer les chauffeurs du train qui nous trouvaient fort sympathiques, je crois.

Une vie le long des rails, jour après jour
Habiter la rue du train, ce n’était pas de tout repos ! Les maisons, minuscules, abritaient souvent plusieurs générations. L’eau courante manquait une bonne partie de la journée. Mais la rue était pleine de vie et de solidarité. J’apprenais peu à peu l’histoire de la rue : nous vivions sur la portion entre l’avenue Dien Bien Phu et la rue Tran Phu, et à chaque extrémité, des familles travaillant pour la compagnie des chemins de fer vivaient avec leurs conjoints et enfants, parfois parents.

Thao avait lancé un projet de lien avec les enfants du quartier : cours d’anglais, dessins, jeux… ils venaient tous les jours me parler quelques mots d’anglais, eux qui n’avaient pas choisi de grandir dans cette rue autrefois presque abandonnée. C’était sa manière de donner du sens à ce lieu qui fascinait de plus en plus de voyageurs.

Les rails étaient notre cour commune. Chaque jour, les anciens y buvaient leur thé glacé, les grand-mères installaient un petit réchaud au milieu pour cuisiner, les enfants couraient ou dessinaient à la craie sur les murs, créant parfois des fresques avec l’aide de Thao et son imagination débordante ! Et jour après jour, nuit après nuit, tout le monde s’écartait d’un geste dès que résonnait le fameux « choo choo ». Le train s’approchait dans un fracas de métal, il fallait s’écarter, se mettre contre le mur, respecter le dragon de métal qui s’élançait entre les murs de la ville. Son nom, Đổi Mới, inscrit sur sa plaque d’immatriculation, un mot vietnamien qui signifie “renouveau” ou “les temps qui changent”, résonnait comme une prophétie. C’était exactement ce qui se passait sous nos yeux ébahis dans notre rue si spéciale ! Après quelques mois, Thao disait qu’elle pouvait dormir à poings fermés la nuit dans le café : le « choo choo » la berçait.



L’âge d’or de la rue du train
Croyez-moi, la rue du train est devenue la sensation mondiale qu’elle est aujourd’hui en seulement quelques mois. C’était phénoménal. Les hashtags #hanoitrainstreet et #trainstreethanoi explosaient sur Instagram et les voyageurs venaient des quatre coins du monde pour vivre cette expérience insolite et prendre la photo parfaite au passage du train. Nombreux étaient ceux qui venaient partager cette expérience exceptionnelle à The Railway Hanoi. Les rencontres que j’y ai faites resteront à jamais gravées dans mon coeur et ma mémoire. Les fêtes, les dîners, les fous rires résonnaient chaque jour le long des rails.
Mais cette notoriété a aussi bouleversé l’équilibre local en peu de temps. Les commerces ont ouvert les uns après les autres le long des rails, les loyers ont flambé, des familles ont été chassées pour laisser place à de nouveaux cafés. La rue s’est transformée à nouveau, les enfants du voisinage ont aussi déménagé, remplacés peu à peu par des rangées de chaises en plastique colorées pour les touristes. Mais ainsi va le changement à Hanoï, une ville qui bouge incroyablement vite, où un commerce en remplace un autre à la vitesse de l’éclair. Et c’était… enivrant d’une certaine manière. Thao a ouvert un autre café au coin de la rue, et louait une maison juste derrière le premier café. Je vivais entre le vieux quartier et la rue du train et mon vietnamien était toujours aussi mauvais… mais j’étais intégrée à la vie de la communauté, au moins autant que je pouvais l’être !



Et puis, en octobre 2019, tout s’est arrêté. Les autorités ont décidé de fermer la rue pour raisons de sécurité, après plusieurs incidents liés à la foule. Les habitants se sont retrouvés à nouveau isolés (mais était-ce une mauvaise chose ? Peut-être que ça leur donnait un peu de répit après tout….) mais c’était derrière des barrières et sous surveillance policière cette fois.
La rue du train… une légende vivante
La rue du train de Hanoi était devenue une véritable légende ! Une rencontre unique entre un quartier populaire et le tourisme mondial… Cinq années plus tard, en 2025, elle a retrouvé son panache, elle a été reconstruite, réinventée. On me raconte qu’elle est encore fermée, de temps à autres, car les autorités ne semblent toujours pas savoir exactement quoi faire avec cet improbable lieu. Mais pour moi, cette rue reste surtout une magnifique leçon de vie : celle d’un lieu qui a su me donner un foyer, une communauté et des amitiés, avant de disparaître dans le tumulte des temps qui changent.
Je vous invite également à lire, si vous souhaitiez un récit plus ancré dans ces temps désormais révolus, mon article Lonely Planet à ce sujet écrit en 2020 (en anglais) : Life on the tracks: my 2 years living on Hanoi Train Street.

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