Pour beaucoup d’entre nous, le Japon est une terre de mystères. Et parmi un certain nombre de lieux remplis de secrets, il y a le gouffre de Kanmangafuchi à Nikko. Est-ce à cause de la rivière furieuse qui coule à cet endroit ? Du sifflement étrange provenant des bois avoisinants ? Ou à cause de la nature fantomatique des Bouddhas Jizos qui longent ce gouffre aux airs mystiques ?
La première fois que je suis allée au Japon, j’ai cherché des endroits à visiter à Nikko et mon attention s’est immédiatement portée sur le gouffre de Kanmangafuchi. J’ai toujours été intéressée par les mystères et, d’une certaine manière, naturellement attirée par ces lieux à l’aura mystique. L’alignement des bouddhas Jizo de Kanmangafuchi au bord du gouffre m’a semblé si étrange qu’il fallait que je le voie de mes propres yeux.
Première rencontre avec les bouddhas Jizo
La première fois que je suis allée à Nikko, c’était par une journée très chaude en plein mois de juillet. L’air était humide, et c’est un euphémisme de dire que j’étais en sueur, surtout après avoir marché pendant des heures. Mais ma détermination à rentabiliser mon excursion d’une journée hors de Tokyo me donnait suffisamment d’énergie pour marcher des dizaines de kilomètres. (Il faut dire que j’étais aussi un peu plus jeune à l’époque !) Le gouffre de Kanmangafuchi était le dernier site que je voulais visiter après les célèbres sanctuaires Toshogu et Futarasan jinja.
J’ai dû traverser une ville silencieuse et marcher le long de la rivière pour atteindre le « gouffre ». L’endroit a été nommé ainsi en raison de la force et de la profondeur des eaux, là où la rivière Daiya rejoint la rivière Tamozawa. Les roches de lave se sont érodées à cet endroit pour former une gorge profonde, où les eaux se jettent dans un grondement assourdissant.
En arrivant sur le site, on n’aperçoit qu’un humble portail en bois flanqué d’érables japonais. C’est très calme, à l’exception du gazouillis de quelques oiseaux cachés dans la forêt. Je suis seule sur place à ce moment-là, sans doute parce que la journée était si incroyablement chaude. Bien qu’il ne soit pas trop éloigné des sites les plus touristiques de Nikko, le gouffre de Kanmangafuchi ne faisait pas partie des principaux sanctuaires et temples classés au patrimoine de l’UNESCO, ce qui le rendait plus calme que les autres endroits.
Les « fantômes » de Kanmangafuchi
Je franchis la porte et soudain, j’entends le bruit de la rivière. Presque immédiatement, un petit sanctuaire sous la forme d’un kiosque apparaît, surplombant la rivière. Il n’est là que pour que l’on puisse jeter une pièce et honorer la rivière. C’est peut-être aussi pour demander une protection ? Dans tous les cas, il est plus prudent d’y faire une petite prière. Évidemment, ne soyez pas idiot et ne descendez pas vers la rivière, c’est dangereux et strictement interdit.
Sur ma gauche, les statues que j’avais tant envie de découvrir sont assises en silence, surveillant la rivière. Un étrange sentiment de familiarité s’empare de moi. Je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi ni comment, mais mon cœur semble s’harmoniser avec l’atmosphère du lieu, le chant des oiseaux, la posture tranquille mais solennelle des statues, et l’esprit de la nature qui touche tous mes sens à cet instant. S’il y eut un moment magique dans mon voyage, c’est certainement celui-là.
Il y a une légende sur les Jizo de Kanmangafuchi : en raison de leur nature fantomatique, on dit qu’elles ont le pouvoir de disparaître et de réapparaître. C’est pourquoi elles sont surnommées « Bake Jizo » (Jizo fantôme). Il y en a environ 70 le long du gouffre de Kanmangafuchi. Mais si vous essayez de les compter, vous ne trouverez apparemment jamais le même nombre. J’ai essayé et en effet, j’ai été assez confuse… Faites votre propre compte quand vous y serez !
Le Jizo, protecteur des enfants et des voyageurs
Mais qui est donc ce Jizo ? C’est en fait une représentation du Bodhisattva Ksitigarbha. Un Bodhisattva est un être illuminé qui a refusé d’atteindre le Nirvana afin de rester sur Terre pour aider les humains. Jizo, en particulier, a fait le vœu de ne devenir un bouddha que « lorsque l’enfer sera vide », ce qui signifie que sa mission ne sera achevée que lorsque toutes les âmes seront sauvées.
Au Japon, il est appelé Jizō bosatsu (bodhisattva Jizō), O-Jizō-san ou O-Jizō-sama et est principalement le protecteur des enfants et des voyageurs. Sa figure est associée aux âmes qui ne peuvent pas « traverser » vers un autre monde, et pour cette raison, on trouve souvent ses statues dans les lieux de passage comme les routes ou les carrefours. On peut également le trouver dans des lieux où les royaumes spirituels et profanes se rencontrent, comme les cimetières ou les temples.
Kanmangafuchi et la tradition japonaise
Jizo est souvent représenté avec un visage d’enfant, vêtu de chapeaux et de bavoirs rouges, car il a promis de guider les âmes des enfants morts trop tôt pour accumuler suffisamment de bonnes actions pour être réincarnés. Dans la mythologie japonaise, ces enfants sont coincés dans « les limbes », où ils doivent empiler des pierres pour en sortir. Cependant, un démon vient la nuit détruire leurs tours, ce qui les empêche d’être sauvés un jour. Le rôle du Jizo est de les protéger contre ce démon.
C’est la raison pour laquelle on peut trouver de petits tas de pierres près des statues de Jizo – ce ne sont pas des « cairns », contrairement à ce que nous pourrions être amenés à croire avec un filtre occidental. Il s’agit en fait de contributions de parents ou de passants qui souhaitent aider les enfants, tout comme les vêtements rouges. Vous trouverez de nombreux tas de pierres au pied des statues du gouffre de Kanmangafuchi, ce qui ajoute encore plus au caractère légendaire du lieu.
L’Abysse de Kanmangafuchi à Nikko : infos pratiques
Comment s’y rendre ?
Prenez un train jusqu’à la gare JR ou Tobu Nikko. Un voyage d’une journée depuis Tokyo est possible. De là, prenez le bus Tobu en direction de Chuzenjiko Onsen ou Yumoto Onsen et descendez à l’arrêt de bus Tamozawa. Depuis l’arrêt de bus, marchez 10 à 15 minutes dans le village.
Un autre moyen de rejoindre le gouffre de Kanmangafuchi est de marcher depuis les sanctuaires Toshogu/Futarasan : il faut compter environ 30 minutes de marche.
Quand y aller ?
Le printemps et l’automne sont les meilleures saisons pour visiter le gouffre de Kanmangafuchi car il ne fait pas trop chaud et les arbres sont soit d’un vert tendre, soit d’un magnifique orange. Les érables japonais sont d’une beauté folle en automne, bien entendu.
Comment se déplacer ?
Le réseau de transport est bien développé à Nikko, car c’est un site touristique majeur. Le circuit du bus World Heritage Meguri fait le tour de la ville et est empruntable avec un ticket valable à la journée.
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